Afcam – Edito de décembre 2022
Patrick Vajda, président de l’AFCAM, laisse sa plume à Olivier Lamarre, président du Syndicat des Arbitres Français d’Elite (SAFE).
Quand l’arbitrage de Stéphanie Frappart rime avec « entrée dans l’Histoire »
Lorsque Neil Armstrong posa son pied sur la lune en 1969, il déclara qu’il s’agissait d’un petit pas pour l’homme, mais d’un grand pas pour l’humanité. En ce premier décembre 2022, quand Stéphanie Frappart entra la première, ballon en main, sur la pelouse du stade Al Bayt dans le cadre de la coupe du monde de football se déroulant au Qatar, nous serions tentés de dire, en paraphrasant ce moment historique, qu’elle a réalisé à son tour à ce moment-là un petit pas pour une femme, mais un grand pas pour l’humanité.
Bien sûr, la modestie de Stéphanie désapprouverait probablement cette affirmation, la considérant comme exagérée. Et pourtant, lors de son entrée devant les équipes du Costa Rica et de l’Allemagne venues disputer un match décisif du Groupe E de cette coupe du monde, nous sommes nombreux à avoir pensé qu’il s’agissait là d’un moment historique, Stéphanie devenant à ce moment la première femme à arbitrer dans un match de coupe du monde masculin. Ce faisant, elle ouvrait une porte qui ne pourra plus se refermer après elle dans le monde du football. Et le fait qu’elle démontre au Qatar qu’une femme soit capable de réaliser une prestation complexe à l’égale d’un homme aura probablement eu un impact bien au-delà du monde du sport, mais dans le monde « tout court », à l’image d’actions symboliques réalisées par d’autres femmes par le passé et qui ont contribué à changer le cours de l’histoire. Notre Ministre des Sports et des Jeux Olympiques et Palympiques, Amélie Ouéda-Catsera, ne s’y est du reste pas trompé en communiquant bien vite sur les réseaux sociaux combien ce que faisait Stéphanie venait d’entrer dans l’histoire … ce que le Guinness Book des records ne tardait pas à confirmer en prenant contact avec le SAFE pour être mis en contact avec Stéphanie pour obtenir son autorisation de graver cet événement parmi ceux qu’il recense.
En donnant le coup d’envoi de cette partie, Stéphanie n’en était pourtant pas à sa « première première ». Il faut dire qu’elle les collectionne, ces premières, depuis années, ouvrant les unes après les autres des portes qui étaient, jusqu’alors, restées fermées aux collègues arbitres féminines :
- Première arbitre féminine sur un match de Ligue 1 (SCO d’Angers contre le RC Strasbourg en avril 2019)
- Première arbitre féminine lors d’une finale de Supercoupe de l’UEFA (Liverpool – Chelsea en août 2019)
- Première femme à diriger une rencontre internationale masculine de sélection (Malte – Lettonie en Ligue des Nations en septembre 2019)
- Première arbitre féminine à officier sur un match de Ligue des Champions (Juventus – Dynamo Kiev en décembre 2020)
- Première femme à diriger la finale de la Coupe de France (Nice – Nantes en mai 2022)
- En étant désignée sur Mexique – Pologne en tant qu’arbitre remplaçante, première femme arbitre à officier sur un match de Mondial masculin
Une liste de premières impressionnantes, qui s’ajoute à des prestations brillantes lors de la finale de la Coupe du Monde féminine de 2019 en France, lors des Jeux Olympiques d’été 2021 à Tokyo et bien sûr à plusieurs dizaines de matchs dirigés en Ligue 1 et en Ligue 2 ces dernières années.
Stéphanie est avant tout une sportive. Une sportive de très haut niveau, qui s’est d’ailleurs personnellement investie aux côtés du SAFE et d’autres grands noms du sifflet comme Clément Turpin ou Benoît Bastien pour expliquer en 2022 aux parlementaires les conditions d’exercice des arbitres de haut niveau, ces interventions ayant été décisives pour obtenir les avancées historiques obtenues pour la reconnaissance des juges et arbitres de haut niveau dans la loi sur le Sport de mai 2022 (et dont les décrets d’application tardent à arriver…). En tant que sportive de haut niveau, lorsqu’elle est entrée sur le stade Al Bayt et qu’elle a donné ses premiers coups de sifflet, elle n’était concentrée que sur la mission qui lui était confiée : servir le jeu et les joueurs, en protégeant les acteurs du jeu et en veillant à l’équité sportive et au respect des règles. Elle a, à ce titre, réalisé une prestation d’exception saluée par tous, sur un match dont le scénario sportif fut par ailleurs exceptionnel.
Mais nul doute qu’une fois la mission brillamment accomplie, elle a pu prendre conscience du symbole qu’elle venait de réaliser devant des millions de téléspectateurs : démontrer qu’une femme peut réaliser en qualité des missions que l’histoire ne confiait jusque-là qu’aux hommes, et que, dans le sport, comme dans la vie, chacun doit être considéré non pour son sexe (ou sa couleur de peau) mais pour ses talents et ses compétences. Et que cette première ce soit tenue au Qatar fut particulièrement symbolique.
Alors oui, pour ce moment historique, tous les arbitres français de football (et probablement tous les juges et arbitres des sports que regroupe l’AFCAM) sont fiers de Stéphanie. Comme ils sont fiers par ailleurs des deux premières très belles prestations réalisées par Clément Turpin et son équipe composé par ses assistants Cyril Gringore (qui officie au Qatar pour ses derniers matchs, puisqu’il mettra un terme à sa carrière à son retour) et Nicolas Danos et par Benoit Millot et Jérome Brisard à la VAR. La qualité de leurs prestations montrent combien l’arbitrage de football français est qualitatif, même si certains en France ont tendance à l’oublier chaque week-end de championnat … mais difficile d’être prophète dans son pays !
Comme cette coupe du Monde n’est pas terminée, tous les arbitres français, même s’ils sont tous supporters de l’Equipe de France et lui souhaitent un parcours le plus long possible, espèrent que d’autres désignations seront confiées à leurs collègues tricolores dans les deux semaines à venir (comme ce lundi pour la « Team TURPIN » qui officie en huitième de finale sur le match opposant le Brésil à la Corée du Sud) pour pouvoir de nouveau être leurs premiers supporters … alors, Allez la France et allez les arbitres français !
Olivier Lamarre